Vieilles Gens Et Vieilles Choses

Extrait: Donc, Bassens tait en f te: la foule endimanch e emplissait les chemins de rires et de chansons. Le pr de vogue, entour de tentes blanches faites avec des pieux et des draps de lit, tait en outre couvert de groupes de promeneurs venus de la ville et des communes environnantes. Aux deux extr mit s du verger immense, sous de larges pommiers branchus, des violons criards et des tambours d'occasion, marquaient la mesure aux danseurs qui avaient quitt veste et gilet pour tre plus l'aise. Au bout de quelques heures de ce plaisir fait de vacarme et de mouvement, les promeneurs devinrent plus rares; chacun songeait au retour. Nous d mes partir les premiers, bien regret, et non sans nous tre fait prier longtemps. L'autorit maternelle nous contraignit, en fin de compte, reprendre le chemin du Chaffard, o nous arriv mes la grande nuit, dormant d'un oeil et tirant d'une jambe, la t te bourdonnante encore de musique, de cris, de rires et de chansons. Les deux semaines qui suivirent ce dimanche-l , se pass rent sans incidents. L'ouvrage pressait; la fin de la moisson, tr s en retard cette ann e-l , et le fauchage des regains occupaient tous les bras. C' tait un grand entrain la ferme et partout. Comme nous aimions ces temps de moisson et de fenaison Partis, d s le matin, avec une troupe quelconque d'ouvriers, choisissant de pr f rence la plus nombreuse, nous coutions avec un plaisir indicible les contes, les chansons, les mille cancans bavards des travailleurs insouciants. C' tait l que se r pandaient tous les bruits, toutes les m disances, les nouvelles du canton; chacun apportait sa part de r flexions malignes, et les rires payaient amplement la peine des conteurs. Ce fut dans une de ces r unions de bonnes langues que nous appr mes les motifs de l'altercation qui avait eu lieu entre Lall et ses parents: il s'agissait, en effet, d'une fantaisie de coquetterie de Marianne. Sachant que son cousin devait aller la ville, le dimanche matin, pour des commissions press es, elle l'avait charg de lui rapporter une coiffe neuve command e en vue de la vogue, o elle se promettait de briller au bras du beau gar on. Cette coiffe, elle l'avait r v e bien belle, bien riche, capable de faire rager Marie Gu dioz et Rosalie Vitton, capable d'exciter la sainte col re de la prieure et l'envie de toutes ses compagnes. Aussi tait-ce un secret que cette commande. Lall seul devait tre mis dans la confidence, car seul, il avait assez d'amour pour pardonner cette faiblesse. Donc, c' tait entendu: son cousin laisserait partir Fanny avec le pain b nit, et s'en irait bien en cachette chez la marchande, laquelle avait jur solennellement que tout serait pr t l'heure. Mais on sait ce qu'est un serment de modiste. Quand Lall vint lui r clamer la coiffe promise, c'est peine si elle l'avait commenc e. L'amoureux, sachant ce qui l'attendait au retour s'il arrivait les mains vides, d clara qu'il ne partirait pas sans avoir le bonnet. Bien lui en prit: une heure apr s, il repassait au pas de course le pont de la Garatte en emportant le pr cieux paquet. Mais le temps s' tait coul , et Marianne n'avait pu se rendre la messe ce jour-l . Apr s l' v nement, taient venus les commentaires. Toutes celles que la toilette du Quinsonnet avait blouies ou cras es, ne tarissaient pas de propos malveillants: - Le bon Dieu ne pouvait point b nir une fille qui avait le coeur de danser un jour o elle avait manqu aux offices... Et on verrait bien..., et cela ne finirait pas ainsi... Enfin, tout le monde la d chirait belles dents.